Interdiction des fleurs de chanvre en Italie : Une Analyse détaillée du décret-loi de 2025
En avril 2025, une onde de choc a traversé l’industrie italienne du chanvre lorsque le gouvernement a annoncé une interdiction immédiate de la culture, de la vente, de la transformation et de l’exportation des fleurs de chanvre, y compris celles dont la teneur en THC était inférieure à 0,3 %. Cette décision, mise en œuvre par un décret-loi, a contourné tout débat parlementaire et est entrée en vigueur sur-le-champ. Le gouvernement a justifié cette mesure par des raisons impératives de sécurité publique, notamment la nécessité d’éviter toute confusion avec le cannabis récréatif et de lutter contre le marché noir. Cette décision inattendue a provoqué des répercussions considérables au sein du secteur italien du chanvre et a suscité de vives réactions de la part des acteurs concernés. Le présent rapport se propose d’examiner en détail les justifications avancées, les conséquences économiques, les réactions et les défis juridiques soulevés par cette mesure controversée, ainsi que les perspectives d’avenir pour l’industrie.
Avant l’annonce abrupte d’avril 2025, l’Italie avait mis en place un cadre légal relativement permissif pour le chanvre, autorisant la culture de variétés contenant jusqu’à 0,6 % de THC. Cette législation, notamment la loi n° 242 du 2 décembre 2016, avait permis l’éclosion d’une industrie florissante, en particulier autour des produits à base de CBD. Le secteur du « cannabis light », s’appuyant fortement sur les fleurs de chanvre pour la production de CBD, avait connu une expansion rapide. L’impact économique de cette industrie était significatif, représentant un marché estimé à environ 2 milliards d’euros. De plus, ce secteur soutenait un nombre considérable d’emplois, avec des estimations variant entre 22 000 et 30 000 postes à temps plein. Cette croissance économique et la popularité des produits à faible teneur en THC auprès des consommateurs italiens soulignaient le potentiel de ce marché. Cependant, l’arrivée au pouvoir du gouvernement Meloni, à l’orientation conservatrice, a marqué un changement d’attitude. Même les produits non psychoactifs comme le CBD ont commencé à être perçus avec suspicion, le gouvernement exprimant des inquiétudes quant à la possibilité de confusion entre le chanvre légal et le cannabis illégal. Des tentatives antérieures avaient déjà été faites pour restreindre le marché du CBD, notamment un décret controversé en août 2024 qui classait le CBD oral comme stupéfiant, limitant sa vente aux pharmacies sur ordonnance non renouvelable. Bien que ce décret ait été temporairement suspendu par le Tribunal administratif régional du Latium, il signalait une volonté gouvernementale persistante de contrôler plus strictement le secteur.
La justification officielle du gouvernement italien pour l’interdiction immédiate des fleurs de chanvre reposait sur des impératifs de sécurité publique. L’argument principal avancé était la nécessité de prévenir toute confusion avec le cannabis récréatif, compte tenu de la similitude visuelle entre les fleurs de chanvre à faible teneur en THC et celles du cannabis à forte teneur en THC. Le gouvernement a également affirmé que cette interdiction visait à lutter contre le marché noir, suggérant que l’industrie légale du chanvre pourrait servir de couverture ou de source pour des activités illicites. Cependant, l’examen des informations disponibles révèle une absence notable de rapports ou d’études spécifiques cités par le gouvernement italien pour étayer ces préoccupations de sécurité publique concernant la confusion et le marché noir, en particulier pour les fleurs de chanvre dont la teneur en THC est inférieure à 0,3 %. Bien que les préoccupations concernant le marché illégal du cannabis soient légitimes , le fondement de l’interdiction des fleurs de chanvre à faible teneur en THC semble manquer de preuves scientifiques concrètes. Il est plausible que cette décision soit davantage ancrée dans une position idéologique défavorable au cannabis en général, plutôt que dans une évaluation objective des risques de sécurité spécifiques posés par le chanvre à faible teneur en THC. L’orientation conservatrice du gouvernement Meloni et l’argument selon lequel la décision est « politique, pas scientifique » renforcent cette hypothèse.
L’interdiction soudaine des fleurs de chanvre a eu un impact économique dévastateur sur l’industrie italienne. Environ 3 000 entreprises, qui opéraient légalement dans ce secteur, se sont retrouvées menacées de fermeture. Le nombre d’emplois directement mis en péril est considérable, oscillant entre 22 000 et 30 000 selon les estimations. Le secteur, dont la valeur était estimée à environ 2 milliards d’euros, risque un effondrement total, car l’interdiction cible le produit central sur lequel de nombreuses entreprises fondaient leurs revenus. Les acteurs du marché ont exprimé vivement leurs inquiétudes, dénonçant une mesure qui pourrait paradoxalement pousser les consommateurs vers le marché noir. Cette interdiction ne menace pas seulement les entreprises directement impliquées dans la culture et la vente de fleurs de chanvre, mais elle pourrait également avoir des répercussions sur des industries connexes telles que la cosmétique, l’alimentation et les matériaux de construction qui utilisent le chanvre comme matière première.
L’industrie du chanvre et plusieurs associations agricoles, notamment Canapa Sativa Italia (CSI) et Federcanapa, ont vivement critiqué cette interdiction, la qualifiant d’« idéologique, punitive et irresponsable ». Les représentants de ces organisations ont souligné que le CBD est reconnu comme non stupéfiant par l’Union européenne et que l’interdiction viole les règles du marché unique européen. Ils prévoient d’engager des recours juridiques aux niveaux national et européen, s’appuyant sur des arguments tels que la violation des droits constitutionnels, des traités internationaux et du droit européen sur la libre circulation des marchandises. Ces associations tirent également espoir de leurs succès juridiques passés contre des tentatives gouvernementales de restreindre le marché du CBD. En parallèle, elles ont lancé un appel à la Commission européenne pour qu’elle intervienne et protège l’industrie. Canapa Sativa Italia a notamment déposé une plainte officielle auprès de la Commission européenne, arguant que l’interdiction italienne viole les réglementations de l’UE sur la concurrence et la libre circulation des marchandises. Le Parlement européen a également accepté d’examiner une pétition des associations agricoles italiennes concernant cette affaire.
Des manifestations ont également été organisées par des syndicats, comme la Confédération générale italienne du travail (CGIL), et des partis politiques pour protester contre cette mesure. Les critiques dénoncent une décision idéologique qui ignore les données scientifiques et les bénéfices environnementaux du chanvre industriel. Le chanvre est reconnu pour ses avantages écologiques, notamment sa capacité à absorber le CO2, son faible besoin en eau et en pesticides, et son rôle dans l’amélioration de la santé des sols. L’opposition à l’interdiction s’étend au-delà des acteurs directs de l’industrie, avec des partis politiques comme Forza Italia exprimant leur soutien au secteur du chanvre 29 et le Mouvement 5 Étoiles demandant à la Commission européenne d’intervenir contre l’interdiction du « cannabis léger ». Des débats parlementaires sur la légalisation de la culture personnelle de cannabis ont également eu lieu, indiquant une discussion plus large sur la politique du cannabis en Italie.
L’Union européenne a entamé une procédure pour évaluer si cette interdiction est conforme au droit communautaire. L’inquiétude principale réside dans la possible violation du principe de la libre circulation des marchandises au sein du marché unique européen. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait déjà statué en 2021 que le CBD n’est pas un stupéfiant et que sa commercialisation au sein de l’UE ne peut être interdite s’il est légalement produit dans un autre État membre. Le Parlement européen, par le biais de sa commission des pétitions, a adressé une lettre de plainte au gouvernement italien. L’évaluation par l’UE est toujours en cours et si l’interdiction est jugée contraire aux règles européennes, l’Italie pourrait être contrainte de la réviser ou de la révoquer. Un manquement à cette obligation pourrait entraîner des procédures d’infraction et des sanctions financières à l’encontre de l’Italie.
Le décret-loi est temporaire et doit être confirmé par le Parlement italien dans un délai de 60 jours suivant sa publication. Ce délai, qui s’étend jusqu’au début juin 2025 en supposant une promulgation en avril, ouvre une fenêtre cruciale pour des débats parlementaires sur la confirmation du décret. L’issue de ces débats dépendra de la dynamique politique au sein du Parlement et du niveau de soutien à la politique du gouvernement Meloni. Parallèlement, des recours juridiques pourraient être déposés pour suspendre ou annuler cette interdiction avant même la confirmation parlementaire. Le Président italien, Sergio Mattarella, a également le pouvoir de signer le décret confirmé ou de le renvoyer au gouvernement pour révision s’il a des préoccupations concernant sa constitutionnalité ou sa légalité. Les antécédents de suspensions judiciaires de décrets gouvernementaux liés au CBD suggèrent que l’interdiction des fleurs de chanvre pourrait également faire l’objet de contestations judiciaires.
Les perspectives à long terme pour l’industrie du chanvre en Italie suite à cette interdiction sont incertaines et dépendront de l’issue des recours juridiques, de la position de l’UE et de la décision finale du Parlement italien. Si l’interdiction est confirmée, de nombreuses entreprises pourraient être contraintes de délocaliser leurs activités vers d’autres pays de l’UE ayant des réglementations plus favorables. À l’inverse, si l’interdiction est annulée ou significativement modifiée, l’industrie pourrait potentiellement se redresser et reprendre sa croissance. Une autre possibilité serait un compromis permettant la continuation de certains aspects de l’industrie du chanvre, comme l’utilisation industrielle pour les fibres ou les graines. L’évolution de la législation européenne sur le CBD continuera également d’influencer la réglementation italienne à long terme. La position établie de l’UE selon laquelle le CBD n’est pas un stupéfiant exercera une pression constante sur l’Italie pour qu’elle aligne ses réglementations nationales sur le droit de l’UE.
En conclusion, l’interdiction soudaine des fleurs de chanvre en Italie par décret-loi en avril 2025 a plongé une industrie florissante dans une crise profonde. Les justifications de sécurité publique avancées par le gouvernement semblent fragiles face à l’absence de preuves scientifiques spécifiques, suggérant une motivation idéologique plus profonde. Les conséquences économiques sont potentiellement dévastatrices pour des milliers d’entreprises et de travailleurs. La vive réaction de l’industrie et des associations agricoles, ainsi que l’opposition politique et syndicale, témoignent d’un large désaccord avec cette mesure. L’examen de la conformité de cette interdiction avec le droit de l’Union européenne ajoute une couche de complexité, avec la possibilité que l’Italie soit contrainte de revenir sur sa décision. L’avenir de l’industrie italienne du chanvre reste incertain et dépendra de l’issue du processus parlementaire et des défis juridiques en cours, dans un contexte européen en constante évolution concernant la réglementation du CBD et du chanvre.